COMPTE RENDU INTÉGRAL
2e séance du mardi 22 janvier 2002

CONCERNANT
RECONNAISSANCE DU 19 MARS
COMME JOURNÉE NATIONALE DU SOUVENIR


Explications de vote et vote sur l’ensemble d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l’ensemble de la proposition de loi de M. Bernard Charles et plusieurs de ses collègues relative à la reconnaissance du 19 mars comme Journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie (n os 3450, 3527).
Je vous rappelle qu’en vertu de l’article 54 de notre règlement les explications de vote ne doivent pas dépasser cinq minutes, et je serai vigilant.
La parole est à Mme Chantal Robin-Rodrigo, pour le groupe RCV.

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’Etat aux rapatriés, mes chers collègues, la loi du 18 octobre 1999, qui reconnaît que les événements d’Algérie étaient une guerre, - et quelle guerre ! -, a rétabli dans leur dignité tous ceux qui ont été impliqués dans ce conflit : appelés du contingent, militaires de carrière, harkis, pieds-noirs. La République française a beaucoup trop tardé à effectuer ce salutaire retour sur son histoire. Quarante ans après la fin de la guerre d’Algérie, il est plus que temps de prolonger cette reconnaissance par un acte responsable qui parachève notre travail de mémoire.
En déposant ce texte, les radicaux de gauche ne cherchaient pas à bâtir un grand modèle d’explication de la guerre d’Algérie, ni à livrer un « prêt-à-penser » bien ficelé. Certaines outrances qui ont entouré, à l’intérieur et à l’extérieur de cet hémicycle, un débat nécessaire nous démontrent que beaucoup aimeraient instrumentaliser l’histoire. Ils font fausse route.
La guerre d’Algérie et les combats en Tunisie et au Maroc ont coûté la vie à près de 30 000 de nos concitoyens, la plupart âgés de vingt ans, dont 24 000 pour la seule campagne d’Algérie. De la plus grande de nos villes au plus petit de nos villages, leurs noms sont gravés dans la pierre des monuments aux morts. Ils reposent aux côtés de leurs aînés des conflits précédents. Dans mon département des Hautes-Pyrénées, le bilan est impressionnant, tout comme la constance avec laquelle leurs anciens compagnons d’armes se souviennent chaque année depuis quarante ans de leur sacrifice.
Il convient donc que la nation, qui ne peut vivre sans référence à ses valeurs, décide enfin une journée nationale du souvenir et du recueillement dédiée à la mémoire des morts civils et militaires d’Afrique du Nord.
Cette journée nationale ne peut être que celle de l’anniversaire du jour du cessez-le-feu, le lendemain de la signature des accords d’Evian, le 19 mars 1962, comme il en va d’ailleurs pour tous les autres conflits.
Certes, nul n’ignore que des hommes et des femmes sont encore tombés, des deux côtés, après la sonnerie symbolique du clairon, mais le cessez-le-feu du 19 mars 1962 marque bien l’arrêt officiel de la guerre d’Algérie. Il cristallise la mémoire de l’événement, il est un enjeu de cette mémoire. Il marque également l’espoir que constitue la fin d’un conflit qui a laissé des traces douloureuses des deux côtés de la Méditerranée et engendré trop de victimes, civiles et militaires, auxquelles nous devons rendre hommage autrement qu’à la sauvette, comme c’est le cas depuis quarante ans.
C’est l’occasion également de tendre enfin la main aux harkis, qui sont traités depuis quatre décennies comme de véritables boat people. Nous leur devons réparation.
Le moment est donc venu pour le Parlement d’entériner un choix déjà largement approuvé par nos concitoyens.

M. Jean-Paul Charié. C’est faux !

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Trois Français sur quatre, plus de la moitié des conseils municipaux de France, 343 députés signataires de neuf propositions de loi identiques, dont celle qui a été déposée par dix-huit de mes collègues du groupe Radical, Citoyen et Vert, ne constituent peut-être pas l’unanimité, mais une majorité suffisante pour que la représentation nationale confirme en 2002 l’adhésion qu’avaient manifestée 90,8 % des Français au référendum du 8 avril 1962 organisé à l’initiative du général de Gaulle. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l’Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française-Alliance. Rien à voir !

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Ainsi, pour la première fois depuis la fin de la guerre d’Algérie, les plus hautes autorités de l’Etat pourront s’associer à une commémoration permettant de tirer les enseignements du passé, nécessaire pour mieux appréhender le présent et l’avenir.
Ce devoir de mémoire, nous le devons aussi à notre jeunesse, afin qu’elle n’oublie pas tous ceux qui sont morts pour la France en Algérie.
Cette reconnaissance doit mettre un terme aux polémiques. La France doit maintenant se tourner vers l’avenir, en aidant l’Algérie moderne à édifier un Etat de droit, stable, apte à assurer le développement économique d’une nation qui restera un partenaire économique, social et culturel de première importance pour notre pays.

M. Claude Goasguen. Rien à voir !

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Une grande majorité des députés RCV voteront cette loi, et je ne doute pas que le Gouvernement l’inscrira à l’ordre du jour du Sénat avant la fin de la session parlementaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président. La parole est à M. Michel Meylan pour le groupe DL.

M. Michel Meylan. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’Etat, mes chers collègues, sans hésitation, le groupe Démocratie libérale et Indépendants votera contre la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie.

Plusieurs députés du groupe Démocratie libérale et Indépendants. Très bien !

M. Michel Meylan. Je l’ai dit et je le répète, c’est pour nous une question de cohérence, de vérité et d’honnêteté. Ce débat aurait dû porter sur une seule question : quelle date permettrait au monde combattant de communier dans le même souvenir et de préparer l’avenir ?

Plusieurs députés du groupe Démocratie libérale et Indépendants. Tout à fait !

M. Michel Meylan. Vous ne vouliez pas de ce débat.
Pour vous, le problème était tranché d’emblée : le 19 mars était la seule date. Il ne pouvait être question d’en choisir une autre. Pour vous, la seule question était : quels arguments développer pour justifier à tout prix le choix du 19 mars ?
Une fois de plus, il n’y a pas eu de débat. Une fois de plus, notre assemblée cède devant le poids des lobbies et se soumet au terrorisme intellectuel d’une minorité agissante.

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Des lobbies, les anciens combattants ?

M. Michel Meylan. Et tout cela pour quelques médiocres calculs à l’approche des élections alors que, vous le savez très bien, ce texte ne peut aboutir avant la fin de nos travaux et les prochaines élections.
Quand je songe aux courriers que certaines associations nous ont adressés ces derniers jours, ne nous faisant rien de moins qu’un procès en extrémisme, je pense que nous avons eu raison de ne pas leur céder. Je le dis à leurs dirigeants, dont certains se trouvent dans les tribunes : on ne traite pas ainsi le Parlement.
La reconnaissance de l’état de guerre en Algérie avait été adoptée à l’unanimité par notre assemblée. Contrairement aux engagements ou, plutôt, aux conditions posées par votre majorité, il n’y aura pas d’unanimité pour la date du 19 mars, ni à gauche, ni à droite.
Que vous le vouliez ou non, le 19 mars ne sera jamais, pour beaucoup d’entre nous, pour un grand nombre d’anciens combattants, d’appelés du contingent, de familles de rapatriés et de familles de harkis, la date de la commémoration de toutes les victimes de la guerre d’Algérie.
Cela veut dire que vous avez échoué.
Cela veut dire que vous avez gâché une belle chance de rassembler.
Cela veut dire qu’avec l’alternance, que nous appelons de nos voeux, il faudra reprendre ce débat dans des conditions plus sereines...

M. Jean-Paul Bret. L’enterrer, plutôt !

M. Michel Meylan. ... et surtout plus respectueuses du monde combattant. Nous serons là pour y veiller.
(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président. La parole est à M. Alain Néri, pour le groupe socialiste.

M. Alain Néri. Monsieur le président, mes chers collègues, en juin 1999, à l’initiative du groupe socialiste de l’Assemblée nationale, le Parlement a adopté à l’unanimité, après un débat d’une grande dignité, une proposition de loi reconnaissant enfin l’état de guerre en Algérie.

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. Rien à voir !

M. Alain Néri. Après sa reconnaissance officielle, cette guerre qui fut trop longtemps une guerre sans nom ne doit pas devenir une guerre sans date pour se recueillir et se souvenir.

M. Jean-Paul Charié. Jusque-là, nous sommes d’accord !

M. Alain Néri. Oui, au même titre que les deux conflits mondiaux, la guerre d’Algérie appartient à notre histoire, et les anciens combattants de la troisième génération du feu ont droit eux aussi à la reconnaissance de la nation lors d’une journée de mémoire qui leur soit spécifiquement consacrée.

M. Edouard Landrain. Pas le 19 mars !

M. Alain Néri. Cette date doit reposer sur un fondement historique, comme le veut la tradition républicaine.
Cette date est celle marquant la cessation officielle des combats, à défaut de la fin de la guerre. C’est le 11 novembre, jour de l’armistice, pour ceux de 14-18,..

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. Rien à voir !

M. Alain Néri. ... et le 8 mai, jour de la capitulation nazie, pour ceux de 39-45.

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l’Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. Rien à voir !

M. Alain Néri. Pour la guerre d’Algérie, le 19 mars, date officielle du cessez-le-feu, et non pas date de la fin de la guerre, s’impose dans sa réalité historique ; elle fait suite aux accords d’Evian, dont je me permets de rappeler à certains les signataires au nom de la France : le général de Gaulle et Michel Debré, entre autres. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l’Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Charles Cova. Laissez-les reposer en paix !

M. le président. Mes chers collègues, ce débat mérite un peu de sérénité et de calme ! Chacun peut avancer les arguments qu’il veut.

Vous avez la parole, monsieur Néri.

M. Alain Néri. Cette décision historique fut ratifiée par le référendum du 8 avril 1962 à une écrasante majorité, de 90,7 % des votants,...

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l’Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. Et alors ?

M. Alain Néri. ... cette majorité transcendant largement les clivages politiques. C’est la preuve incontestable de la charge émotionnelle et symbolique de cette date pour toute une génération.

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. Non !

M. Alain Néri. Cette date est aussi chargée d’une double et indissociable signification au coeur d’une tragique et douloureuse histoire qui s’étend avant et après le 19 mars.

M. Jean Roatta. Et alors ?

M. Alain Néri. En effet, pour les uns, cette journée marque l’accélération des drames vécus et le basculement dans des déchirements cruels. Je pense particulièrement à nos compatriotes pieds-noirs et harkis. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l’Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Pour les pieds-noirs, c’est l’abandon de la terre qui les a vus naître et grandir, c’est l’abandon de leurs cimetières, de leurs racines.

M. Bernard Deflesselles. Vous voulez les tuer une seconde fois !

M. Alain Néri. Pour les harkis, qui n’envisageaient pas d’autre avenir que dans la France, le choix de leur fidélité à notre pays fut lourd de conséquences. Les uns, honteusement abandonnés, furent odieusement massacrés en Algérie, et les autres, parqués dans des camps, furent victimes de conditions d’accueil inacceptables en France.
Pour tous, pieds-noirs et harkis, il faut réparer ce qui peut encore l’être, et c’est urgent.

M. Jean-Marie Demange. Qu’est-ce que vous avez fait, vous ?

Plusieurs députés du groupe socialiste. Et vous ?

M. Alain Néri. Pour les autres, les soldats et leurs familles,...

M. Jean-Marie Demange. Il ne croit même pas à ce qu’il raconte !

M. Alain Néri. ... pour tous ceux qui quittaient souvent leur village ou leur quartier pour la première fois, pour répondre à l’appel de la nation, dans un pays inconnu, différent et souvent hostile,...

Un député du groupe du Rassemblement pour la République. Monsieur le président, le temps de parole de M. Néri est écoulé.

M. Alain Néri. ... pour tous ceux qui eurent vingt ans dans les Aurès, et qui ont su se dresser pour défendre et sauver la République dans un superbe élan civique et patriotique, ce fut l’espoir du retour en France, dans leur famille, près de leurs amis.
Rappelons-nous : la guerre d’Algérie frappait toutes les familles. Pas une qui n’ait eu un fils, un époux, un parent engagé dans ce drame.

M. Jean-Marie Demange. Vous mélangez tout !

M. Alain Néri. Nul ne doit être oublié. Car, pour tous, ce fut la guerre. Pour tous, ce furent la violence, les haines, les peurs, les souffrances, le rejet, l’incompréhension et les silences, silences trop souvent pesants et lourds.
Il convient désormais d’inscrire de façon durable l’évocation de cette guerre dans la mémoire collective française et d’assurer collectivement notre histoire.
Cela doit permettre de renforcer la cohésion nationale et s’accompagner d’un indispensable acte de réconciliation et de concorde nationale. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l’Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Le vote solennel que nous avons demandé en est l’occasion. Au milieu de cet océan de deuils, de souffrances, de sang et de larmes qui s’étend avant et après le 19 mars,...

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour la démocratie française-Alliance. Votre temps de parole est écoulé.

M. le président. Mes chers collègues, du calme, s’il vous plaît : il reste trente secondes à M. Néri pour conclure.

M. Jean-Marie Demange. Il ne respecte pas l’histoire !

M. Alain Néri. ... cette date historique doit être le signal du rassemblement de la France et de la nation pour rendre hommage à tous ceux qui ont souffert de la guerre d’Algérie et qui, trop nombreux, y ont perdu la vie.
Oui, il nous faut parvenir à nous rassembler (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l’Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants)
pour partager ensemble un moment de recueillement.

M. Franck Borotra. Provocateur !

M. Alain Néri. Et, ce jour-là, c’est réunis au pied des monuments aux morts, dans la même ferveur, tous ensemble et au coude-à-coude,...

M. Charles Cova. Pas le 19 mars !

M. Alain Néri. ... que nous pouvons et que nous devons rendre hommage aux victimes, à toutes les victimes, civiles et militaires, de la guerre d’Algérie. Mes chers collègues, c’est cela aussi la grandeur de la France.
(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président. La parole est à M. Yves Fromion, pour le groupe RPR.

M. Yves Fromion. Le groupe RPR a exprimé, à l’occasion du débat organisé le 15 janvier, les raisons qui le conduisent à s’opposer à la proposition de loi sur laquelle nous sommes appelés à voter. Je vais y revenir brièvement en m’inspirant des propos de Mme la rapporteure du texte, qui a affirmé, lors du débat, que cette guerre est difficile à comprendre tant elle semble prendre en défaut les valeurs de la République.
Peut-être Mme la rapporteure a-t-elle raison. Mais, si tel est le cas, pourquoi la République imposerait-elle à ceux qui ont été les principales victimes de ses errements d’être à jamais, le 19 mars, cités à la barre du tribunal de l’histoire ? Oui, pourquoi le devoir de mémoire, le travail de deuil dont parlaient à juste titre certains de nos collègues, devraient-ils se nourrir d’une injustifiable humiliation faite chaque 19 mars à nos armées ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Jean-Paul Bret. Vous êtes pourtant gaulliste !

M. Yves Fromion. Pourquoi le devoir de mémoire impliquerait-il des violences supplémentaires infligées aux harkis, à leurs enfants, à leurs familles en France ou en Algérie, condamnés en quelque sorte à se souvenir ? Oui, condamnés à se souvenir que, le 19 mars 1962, les combattants de l’ALN, qui allaient devenir leurs bourreaux, furent autorisés à retourner sur le sol algérien d’où l’armée française les avait écartés. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Pourquoi le devoir de mémoire trouverait-il une force ou une légitimité particulière dans le fait d’imposer à nos concitoyens pieds-noirs la date du 19 mars, la seule qu’ils ne peuvent accepter ? Pourquoi cet acharnement ? (Protestations sur les mêmes bancs.)

M. Jean Michel. Ce que vous dites est honteux !

M. Yves Fromion. Pourquoi la République devrait-elle trouver des victimes expiatoires ? Nous ne pouvons accepter pareille dérive du devoir de mémoire. Hélas, ce n’est pas la seule.
En effet, on a tenté de nous expliquer que le 19 mars s’apparenterait au 11 novembre 1918 ou au 8 mai 1945 et qu’il ne s’agirait, après tout, que de s’inscrire dans une logique historique. Mais comment peut-on occulter qu’il y a eu, en Algérie, après le cessez-le-feu, c’est-à-dire après le 19 mars, environ trois à quatre fois plus de morts dans les effectifs combattants que pendant la période antérieure, dite des hostilités ? Quel rapport avec le 11 novembre 1918 ou le 8 mai 1945 ?

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Il y a eu aussi des morts après le 8 mai 1945 !

M. Yves Fromion. Qui peut raisonnablement soutenir que la date du 19 mars présente le caractère hautement symbolique que certains voudraient lui conférer ? Comment interpréter les propos de Mme la rapporteure, qui parle de commémorer, le 19 mars, « la victoire de la raison sur la folie meurtrière » ? On a trouvé des paradoxes moins douteux.
Nos divergences d’appréciation sur l’usage du devoir de mémoire portent également sur le fait que les auteurs de la proposition de loi ne se conforment pas à la tradition républicaine de l’unanimité nationale dans le choix du jour des commémorations officielles. N’en déplaise à certains, l’unanimité ne se décrète pas, elle se gagne.

M. Jean-Paul Charié. Très bien !

M. Yves Fromion. Et, pour l’obtenir, il faut souvent déployer une patience et une persévérance qui ne sont pas compatibles avec les échéances électorales.

M. Jean Ueberschlag. Tout à fait ! Ça va leur éclater à la figure !

M. Yves Fromion. C’est sans doute ce qui a conduit le Gouvernement à inventer l’unanimité à 70 %. Par respect pour tous ceux qui ont perdu la vie en Algérie, nous refusons cette palinodie. Par respect pour tous les anciens combattants, nous refusons que leur soit imposée une date de commémoration de la guerre d’Algérie au rabais. Nous devons faire confiance au monde combattant pour dire à la nation ce qui est juste, ce qui doit être fait.
Aucun gouvernement ni aucune majorité parlementaire ne sauraient spolier les anciens combattants de leurs droits et de leurs responsabilités au regard du devoir de mémoire.
En contrepartie, les anciens combattants ne peuvent oublier qu’ils incarnent l’unité de la nation.

M. Gérard Fuchs. Les anciens combattants, ce n’est pas vous !

M. Gilbert Meyer. Il n’a jamais été en Algérie, celui-là !

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. Porteurs de valises !

M. Yves Fromion. Personne ne met en doute la légitimité et la nécessité de commémorer la fin de la guerre d’Algérie. C’était au Gouvernement qu’il appartenait de rechercher les voies d’un consensus sur une date. Il ne l’a pas fait, car, le 19 mars ne recueillant pas un accord unanime, tant s’en faut, proposer une autre date eût été désavouer M. Jospin qui, dans cette malheureuse affaire, apparaît clairement comme un diviseur de la nation.
(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l’Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président. Avant de donner la parole aux orateurs suivants inscrits dans les explications de vote, je vais d’ores et déjà faire annoncer le scrutin de manière à permettre à nos collègues de regagner l’hémicycle.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Jean Vila pour le groupe communiste.

M. Jean Vila. Monsieur le président, mes chers collègues,
le 10 juin 1999, après un débat responsable de haute tenue, où consensus et devoir de mémoire ont prévalu, l’Assemblée a unanimement voté la loi reconnaissant la guerre d’Algérie. La nation, qui rend ainsi sa dignité aux citoyens combattants, doit également affirmer sa volonté d’honorer dignement la mémoire des victimes civiles et militaires, en leur dédiant une journée nationale du souvenir et du recueillement.
Le 15 janvier dernier, notre débat a réaffirmé que nous étions unanimes à juger nécessaire le choix d’une date pour commémorer la fin de la guerre d’Algérie. Pour les guerres mondiales de 1914-1918 et de 1939-1945, on a tout naturellement retenu la date du cessez-le-feu, jour essentiel pour le combattant qui risque sa vie à tout instant.
Ces dates de cessation des hostilités sont porteuses d’espérances communes, mais chacune délivre un message particulier, et cela doit nous inciter à refuser l’idée d’une journée unique du souvenir, qui introduirait un élément destructeur de l’unité nationale, qui trahirait la mémoire de notre peuple.
On a trop souvent tenté de réviser l’histoire, de la réécrire au détriment de la vérité historique. Ainsi, le 8 mai 1945, jour où prit fin la plus monstrueuse entreprise de destruction scientifique et collective des hommes, cette date, la plus exceptionnelle de l’histoire de France, qui fut beaucoup plus qu’une victoire militaire et sanctionnait la fin du fascisme hitlérien, a été l’objet de toutes les tentations : on a voulu faire oublier le symbole qu’elle représentait, en décidant qu’elle ne serait ni fériée ni chômée.
Un Président de la République a osé. Un autre, en 1982, lui a redonné toute sa valeur en rétablissant le 8 mai, journée du souvenir, fériée et chômée.
Dans le cas de la guerre d’Algérie se pose avec acuité la question de la reconnaissance officielle d’une journée nationale du souvenir. Le cessez-le-feu du 19 mars 1962 marque bien l’arrêt officiel de cette guerre. Il cristallise la mémoire de l’événement, il est un enjeu de la mémoire française.

M. Charles Cova. Porteur de valises du FLN !

M. Jean Vila. Le 19 mars 1962 est une victoire de la paix, remportée, en France, par tous ceux qui ont lutté contre la colonisation et le racisme, pour la fraternité entre les peuples, contre les coups d’Etat, pour la République. Il faut rendre hommage aux soldats du contingent qui n’ont pas craint de refuser les ordres putschistes de leurs chefs militaires,...

M. Arnaud Lepercq. Vos propos sont scandaleux !

M. Jean Vila. ... ceux-là mêmes qui furent à la tête de l’OAS et n’hésitèrent pas à tirer sur les soldats du contingent, à les tuer. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Il fallait être appelé en Algérie pour comprendre le grand bonheur qu’a représenté le 19 mars 1962. J’y étais.

M. Arnaud Lepercq. Nous aussi !

M. Jean Vila. J’ai vécu ces moments intenses comme j’ai vécu l’épreuve de l’OAS. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française-Alliance.)
Le 19 mars 1962, les familles des soldats étaient heureuses, de même qu’une grande majorité du peuple français et tous ceux qui ont combattu pour la paix en Algérie.
Oui, le 19 mars est la date qui s’impose à l’histoire.

M. Claude Goasguen. Aux harkis aussi !

M. Jean Vila. C’est l’une des dates les plus importantes de l’histoire contemporaine, une date qui marque la fin de l’époque coloniale.
Le débat de notre assemblée, mardi dernier, a montré que la majorité d’entre nous avait la volonté d’officialiser cette date : 343 députés ont manifesté leur accord pour le 19 mars, sur tous les bancs de la majorité, mais aussi, d’une façon responsable, d’une partie de l’opposition.
Seuls quelques nostalgiques de l’Algérie française, de la colonisation, d’un passé révolu, ont tenu des propos qui n’avaient pas place dans ce débat. (Vives protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République du groupe de l’Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) De tels propos encouragent des écrits comme ceux du général Aussaresses, qui n’a vu l’horreur que d’un seul côté, oubliant curieusement ses propres atrocités. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l’Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) On les entend trop souvent devant nos monuments aux morts, à l’occasion du 19 mars, où quelques détracteurs fossilisés dans la rancœur du passé ne savent même plus respecter une minute de silence. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l’Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Ces propos ne peuvent qu’empêcher le consensus, possible, de toutes les associations d’anciens combattants. Il ne faut pas oublier que l’ensemble des associations,...

M. Charles Cova. Il y en a combien ? Plus de cent !

M. Jean Vila. ... qui ont été de tous les combats pour la paix en Algérie, souhaitent l’officialisation du 19 mars 1962 (« C’est faux ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l’Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.), mais elles veulent aussi que cela puisse se faire de façon consensuelle...

M. Renaud Muselier. Le débat était-il consensuel ?

M. Jean Vila. ... avec l’ensemble des associations d’anciens combattants concernées.

M. le président. Monsieur Vila, veuillez conclure.

M. Jean Vila. C’est pourquoi elles appellent l’ensemble du mouvement des anciens combattants à ne pas se laisser entraîner dans une discussion suicidaire. Le respect et la tolérance de tous sont les conditions nécessaires à la défense des intérêts des anciens combattants et victimes de la guerre, et de la mémoire de ce qu’ils ont vécu en commun.

M. Charles Cova. C’est pour ça qu’il faut attendre ! Le statu quo est préférable !

M. Jean Vila. Le 19 mars, pour le monde des anciens combattants, doit être considéré comme une victoire de la paix.

M. Jacques Baumel. C’est honteux !

M. Jean Vila. C’est vrai, nous ne pouvons oublier les pieds-noirs, nés là-bas, revenus vers le pays de leurs aïeux, qui vivront toujours l’arrachement à leur terre natale, victimes d’une histoire faite de trop de sang versé, d’oppression, d’exploitation, de mépris, de haine. Nous unissons toutes les victimes dans le même hommage, en particulier les harkis, persécutés non seulement au lendemain du cessez-le-feu, mais dans les mois qui ont suivi l’indépendance de l’Algérie.
Aujourd’hui, les conditions sont réunies pour officialiser le jour anniversaire du cessez-le-feu. La date du 19 mars appartient à notre peuple, à son histoire, à tous ceux qui sont épris de paix. Nous avons l’exigence du devoir de mémoire. Le groupe communiste et apparentés votera pour l’adoption de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Arnaud Lepercq. Porteur de valises !

M. le président. La parole est à M. Rudy Salles, pour le groupe de l’Union pour la démocratie française-Alliance.

M. Rudy Salles. Monsieur le président, vous avez été fort indulgent avec les orateurs de la gauche, qui ont très largement dépassé leur temps de parole. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Mais il ne suffit pas d’être long pour être pertinent. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour la démocratie française-Alliance.

- Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président. Monsieur Salles, vous avez sans doute perdu une occasion de vous taire...

M. Rudy Salles. Non, monsieur le président !

M. le président. ... car un orateur de l’opposition a parlé très exactement six minutes, autant que celui du groupe communiste ! (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l’Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.

) M. Rudy Salles. Les autres orateurs également, monsieur le président !

M. le président. Vous avez la parole, pour cinq minutes, monsieur Salles.

M. Rudy Salles. L’incident est clos, et je n’abuserai pas de ce temps de parole, monsieur le président.

M. Jean-Pierre Brard. Quand on n’a rien à dire...

M. Rudy Salles. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’Etat, mes chers collègues, l’indignation et la colère qu’a provoquées, dans le monde combattant, l’inscription à notre ordre du jour de la proposition de loi que l’on nous demande d’adopter aujourd’hui ne cessent de croître depuis plusieurs semaines.

M. Bernard Outin. Menteur !

M. Rudy Salles. En effet, faut-il le rappeler, la quasi-unanimité de la famille combattante française rejette cette date du 19 mars, célébrée par les Algériens comme la victoire du FLN sur la France.

M. Jean Charroppin. Tout à fait !

M. Rudy Salles. C’est la raison pour laquelle le groupe UDF votera très naturellement et très largement contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
Quarante ans après la perte de l’Algérie, notre groupe ne veut pas raviver les tensions et continuer à dresser les Français les uns contre les autres. Célébrer le 19 mars comme on célèbre le 8 mai ou le 11 novembre contribuerait à créer une ligne de fracture, alors que nous avons besoin de réconciliation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour la démocratie française-Alliance.)
Profondément attaché au devoir de mémoire, le groupe UDF considère bien sûr indispensable d’honorer les victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie. Toutefois, cela ne peut se faire que dans un esprit de rassemblement, seul propice au recueillement et au souvenir.
(Applaudissements sur les mêmes bancs.)
D’autre part, au nom de tous les morts que l’Algérie a connus en l’espace de quelques mois, nous pensons que la pudeur et le respect doivent être la règle pour tous.

M. Edouard Landrain. Très bien !

M. Rudy Salles. Au lieu de cela, la célébration du 19 mars entraînerait le mépris et l’oubli des victimes civiles et militaires assassinées en quelques mois, alors qu’elles furent six fois et demie plus nombreuses que les pertes militaires en huit ans.
Enfin, et nous l’avons bien vu la semaine dernière, nous ne sommes pas en mesure de trancher normalement dans un débat de cette importance, car un tel choix doit transcender le simple cadre législatif pour recueillir l’adhésion de l’ensemble de la nation et du monde combattant. La démarche du politique ne peut être en aucune façon de créer ou d’alimenter une polémique indigne eu égard à toutes les victimes des combats d’Algérie ou d’Afrique. En mémoire de ces événements tragiques, la représentation nationale doit avoir pour mission de rassembler et non de diviser.

Mme Bernadette Isaac-Sibille. Très bien !

M. Rudy Salles. Pour conclure, je voudrais simplement vous rappeler, monsieur le secrétaire d’Etat, que vous vous êtes engagé ici même, le 7 novembre dernier, à ne pas poursuivre l’examen de cette proposition de loi « s’il ne se dégage pas sur ces bancs une majorité qui transcende les clivages partisans ».

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Comme le général de Gaulle a été souvent cité par la gauche cet après-midi, je voudrais simplement vous rappeler que François Mitterrand, Président de la République, avait désavoué son ministre des anciens combattants en disant que le 19 mars ne devait pas être une date commémorée officiellement par la République française.
(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l’Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Le Gouvernement doit donc prendre acte que, en l’état actuel, il est totalement inopportun de légiférer sur ce sujet. Et nous entendons bien ne pas aller plus loin dans l’examen du texte. Aussi, je le répète, le groupe UDF votera très largement contre la proposition de loi.
(Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.
Je vais mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

Je rappelle que le vote est personnel et que chacun ne doit exprimer son vote que pour lui-même et, le cas échéant, pour son délégant, les boîtiers ayant été couplés à cet effet.

Le scrutin est ouvert.

..................................................................... M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants ................................... 517
Nombre de suffrages exprimés ........................ 482
Majorité absolue .................................... 242
Pour l’adoption ..................................... 278
Contre ...............................................204

L’Assemblée nationale a adopté. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)


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